Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Le parfum Opium, dopé à la transgression

Tout a commencé par l’envoûtement d’un mot interdit. Opium. Une idée d’Yves Saint Laurent et de lui seul. Aucune agence de naming ne peut prétendre être derrière cette trouvaille. « Il avait pris l’habitude de me dresser des listes de noms, se souvient Chantal Roos, jeune cheffe de produit international à l’époque. Il m’a demandé presque innocemment : “A-t-on le droit de l’appeler Opium ?” » Deux syllabes qui par la seule grâce de leur énonciation nous font « monter sur un tapis de Smyrne et survoler Constantinople, Samarcande, Louxor, Hyderabad, Bagdad », écrit le couturier dans le dossier de presse rédigé à la façon d’un long poème et illustré de sa main même.
Opium. Ce mot est pour Yves Saint Laurent le symbole du raffinement de l’Orient, de la Chine impériale et de tous les luxes miraculeux. Le créateur en a même dessiné la graphie. « Le O était trop fluet à son goût, il en a arrondi la forme », se souvient Chantal Roos. Qu’en est-il du parfum ? L’élixir opulent, surdosé de patchouli, de santal, de myrrhe, de benjoin, de vanille et d’encens comme aucun autre avant lui, prolonge olfactivement la collection automne-hiver 1977 que le couturier vient tout juste de consacrer à l’Asie éternelle. Oui mais voilà : la fragrance porte le nom d’une drogue qui a ravagé l’Asie du XVIIIe au XXe siècle et son flacon reprend la forme d’un inrō, petite boîte japonaise à compartiments dans laquelle les samouraïs rangeaient leurs boulettes d’opium. On raconte que l’empereur de la haute couture en a vu la couleur rouge et or sous ecstasy, en pleine hallucination.
C’en est trop pour la communauté chinoise de New York qui appelle à l’interdiction pure et simple. « Kill Opium ! Boycott Squibb ! », menacent les pancartes des manifestants qui se regroupent devant le siège des laboratoires Squibb, propriétaire de la marque Yves Saint Laurent. En Chine aussi on considère que ce nom est une « pollution spirituelle » susceptible d’envoyer un message ravageur à la jeunesse. Même le slogan qui accompagne la campagne du photographe Jeanloup Sieff joue sur l’idée de l’addiction qui se mue en adoration : « Opium, pour celles qui s’adonnent à Yves Saint Laurent. »
Celui qui a fait entrer la mode dans l’âge du spectacle et de l’image, et qui n’est certainement pas homme à fuir le scandale, organise la fête de présentation en septembre 1978 sur une jonque amarrée dans le port maritime de South Street, à New York, précisément là où débarquaient, jusqu’aux années 1930, les cargaisons d’opium. Le goût pour la transgression du couturier a fait mouche une fois de plus. Le parfum devient en quelques semaines seulement un succès international en dépit de son nom sulfureux. A moins que ce soit grâce à lui.
Retrouvez ici tous les épisodes de la série « Nom d’un parfum ! ».
Lionel Paillès
Contribuer

en_USEnglish